
Carla, la trentaine, me consulte car elle se questionne par rapport à ses réactions émotionnelles : « Je pleure très facilement, même pour des choses anodines. Je me demande si c’est normal. Est-ce que je suis hypersensible ? ».
A l’opposé, Henri, lui, s’inquiète de ne jamais verser une larme mais aussi de sa réaction face aux pleurs d’autrui : « Je dois dire que voir ma compagne ou mes enfants pleurer me met très mal à l’aise. Cela me rend très nerveux. Je ne sais pas quoi faire quand ils se mettent à pleurer. Je n’aime pas ça et parfois je me fâche. Je leur dis d’arrêter de pleurer, d’arrêter de faire du cinéma. J’ai l’impression qu’ils pleurent pour un rien. Moi, je ne pleure jamais, même aux enterrements. Ce n’est pas pour autant que je ne suis pas triste ou que suis insensible, mais je n’ai pas envie de le montrer aux autres. Je me demande parfois si c’est normal d’être comme ça. »
Dans ces deux types de demandes, les personnes se questionnent sur leurs réactions émotionnelles et en particulier sur le fait de pleurer face à une situation émotionnelle.
Dans cet article, nous allons essayer de mieux comprendre la fonction des larmes dites « émotionnelles » (car toutes les larmes n’ont pas la même fonction) et pourquoi nous pouvons avoir des réactions très différentes face à une même situation.
Pourquoi sommes-nous si différents en matière de pleurs ?
Les larmes émotionnelles sont des larmes versées en réponse à une émotion intense, positive (joie, soulagement) ou négative (tristesse, frustration). Elles se distinguent des larmes basales (qui lubrifient l’œil en permanence) et des larmes réflexes (qui réagissent à des irritants comme l’oignon ou la fumée). Mais même des stimuli émotionnels très intenses ne provoquent pas systématiquement des larmes chez toutes les personnes, laissant ainsi une place importante aux différences individuelles.
Sur le plan des différences individuelles, un puissant prédicteur d’une tendance à pleurer est de présenter un niveau élevé de « névrosisme », un trait de personnalité marqué par davantage d’instabilité émotionnelle. À l’inverse du continuum, on trouve l’alexithymie, un trait marqué par des difficultés à exprimer et à traiter les émotions, qui elle est associée à une fréquence réduite des pleurs, mais aussi à une détérioration de l’humeur après avoir pleuré. La présence de ces traits chez une personne peuvent être en partie liées à la génétique, et en partie liée à des facteurs environnementaux.
Il existe en effet de nombreux facteurs environnementaux qui peuvent moduler la propension à pleurer, notamment :
- L’éducation émotionnelle : Les personnes ayant grandi dans un environnement dans lequel l’expression des émotions était encouragée pleurent plus facilement. Ainsi, des personnes qui ont appris durant l’enfance que pleurer était une réaction normale et qui ont reçu le soutien approprié en réponse à leurs pleurs, peuvent toujours avoir cette habitude à l’âge adulte (même si les bénéfices ne sont pas toujours au rendez-vous). À l’inverse, un enfant qu’on n’a pas autorisé à pleurer (« un garçon, ça ne pleure pas ! » « Arrête de faire ton Calimero ! ») ou dont on s’est moqué parce qu’il pleurait, apprendra que pleurer est à une réaction à éviter. À l’âge adulte, il peut potentiellement avoir toujours cette habitude de ne pas exprimer ses émotions par des pleurs.
- Les normes culturelles : certaines cultures acceptent plus facilement les manifestations émotionnelles que d’autres. Ainsi, les cultures latines et méditerranéennes ont tendance à être plus expressives émotionnellement et il est courant et tout à fait accepté de pleurer dans des situations de deuil, de joie intense et de frustration. Dans les cultures nordiques, britanniques, chinoises ou encore russes, le retenue émotionnelle et la maîtrise de soi sont davantage valorisées. Pleurer en public, surtout pour un homme, peut être perçu comme un manque de contrôle de soi et de faiblesse.
- Le style d’attachement : il se forme dès l’enfance à travers les interactions avec les figures d’attachement (souvent les parents) et influence la façon dont une personne vit ses relations à l’âge adulte. Les personnes ayant un attachement sécure expriment plus aisément leurs émotions que celles avec un attachement évitant. Les personnes avec un attachement sécure ne voient pas les pleurs comme une faiblesse. Elles peuvent pleurer en public si elles ressentent une émotion forte, mais elles ne se sentent ni honteuses ni trop vulnérables en le faisant. Elles savent aussi demander du soutien sans crainte du rejet et peuvent consoler les autres qui pleurent sans malaise. Les personnes avec un attachement évitant ont appris à ne pas compter sur les autres émotionnellement. Elles évitent donc de pleurer en public et peuvent même ressentir du mépris envers celles et ceux qui le font. Elles répriment souvent leurs émotions, mais dans des situations de forte détresse, elles peuvent exploser de manière inattendue. Les personnes avec un attachement anxieux pleurent souvent plus facilement et plus ouvertement, car elles ont une forte sensibilité aux émotions et aux relations. Parfois, leurs pleurs sont un moyen (inconscient) de susciter du soutien ou de tester l’engagement des autres.
En ce qui concerne les facteurs génétiques, il y a notamment :
- Les hormones : La prolactine et l’ocytocine, plus présentes chez les femmes, favorisent une plus grande propension aux pleurs.
- Tempérament : dès la naissance, il y a des bébés plus sensibles que d’autres. Des bébés qui ont besoin d’être tout le temps dans les bras de leur mère pour s’apaiser et d’autres qui ont des besoins moins intenses, qui sont plus « faciles ».
- Troubles neurodéveloppementaux dans lesquels la gestion des émotions est souvent plus compliquée :
- Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Activité (TDAH), Les personnes avec un TDAH ont souvent une hyperréactivité émotionnelle, une difficulté à inhiber leurs réactions et donc des émotions (positives ou négatives) qui « montent et redescendent » alors rapidement. Certaines d’entre elles peuvent donc avoir la larme facile mais en général cela ne dure pas longtemps.
- Trouble du Spectre Autistique (TSA) Chez les personnes avec un TSA, la gestion émotionnelle peut être compliquée par des difficultés à identifier, comprendre et exprimer les émotions (alexithymie) et par une hypersensibilité sensorielle et émotionnelle (une surcharge sensorielle peut entraîner une réaction émotionnelle intense). certains personnes avec TSA pleurent en cas de stress intense, d’autres presque jamais (elles peuvent ressentir une détresse intense mais ne pas l’exprimer de manière visible).
Un mécanisme de régulation émotionnelle selon le contexte
Si certains perçoivent les larmes comme un signe de faiblesse, les recherches en psychologie et en neurobiologie suggèrent qu’elles peuvent jouer un rôle essentiel dans la régulation émotionnelle et particulièrement dans la régulation physiologique du stress. L’idée que les pleurs sont bénéfiques pour le bien-être psychologique et même physique est aussi largement répandue dans la littérature populaire ainsi que dans de nombreuses théories psychologiques. Toutefois, les preuves empiriques dressent un tableau plus complexe.
Les larmes émotionnelles ont une composition biochimique spécifique. Elles contiennent une petite quantité d’hormones du stress, notamment le cortisol et l’adrénocorticotrophine (ACTH). Cela suggère donc que pleurer aide à éliminer ces substances produites en situation de stress et favorise un retour à l’équilibre physiologique. De plus, après un épisode de pleurs, le système parasympathique s’active, entraînant un ralentissement du rythme cardiaque et une sensation d’apaisement.
Cependant, une étude de Vingerhoets, Bylsma & Rottenberg (2011) a montré que le soulagement après des pleurs n’est pas immédiat. C’est après environ 20 à 30 minutes, que des signes physiologiques de relaxation apparaissent, notamment une diminution de la fréquence cardiaque et une sensation de calme. En outre, les bénéfices des pleurs dépendent du contexte et du soutien social. Ainsi, en l’absence de soutien de la part de l’entourage, pleurer peut augmenter les émotions de détresse. Sharman, Dingle & Vingerhoets (2020) ont confirmé que les personnes recevant du soutien après avoir pleuré ressentent une amélioration de leur humeur, contrairement à celles qui pleurent seules sans réconfort. Sans soutien, pleurer peut accentuer le mal-être (sentiment d’isolement, impuissance).
La régulation émotionnelle
En conclusion, pleurer fait partie d’un éventail de stratégies de régulation émotionnelle. Il y a un bénéfice certain à pleurer chez un psy ou avec des proches qui se montreront réconfortants et soutenants. En revanche, pleurer en présence de personnes qui ne peuvent pas donner du réconfort ou sont jugeants, peut entraîner un sentiment d’isolement et aggraver l’émotion négative. Si les pleurs sont excessifs et incontrôlables, que l’on ne peut s’empêcher de pleurer peu importe le contexte cela peut indiquer des difficultés de régulation émotionnelle (exemples dans la dépression ou l’anxiété). A l’inverse, les personnes qui répriment leurs pleurs et autres expressions émotionnelles de manière excessive, peuvent voir augmenter leur stress interne.
Dans ces deux cas, un travail thérapeutique est conseillé. En neuropsychologie, nous parlons souvent de régulation émotionnelle, ce qui n’a rien à voir avec de la répression émotionnelle, car il s’agit, dans un premier temps, de pouvoir identifier ses émotions et donc d’accepter leur présence pour ensuite ajuster sa manière d’y répondre. La régulation émotionelle désigne donc la capacité à moduler ses émotions en fonction du contexte, des objectifs et des exigences sociales. Elle joue un rôle clé dans la manière dont une personne gère le stress, les conflits et les événements émotionnels. Avoir plusieurs stratégies de régulation émotionnelle à court et à plus long terme permet d’exprimer ses émotions d’une manière plus adaptée et, en retour, d’avoir une amélioration de son état.
Références :
Bylsma, L. M., Croon, M. A., Vingerhoets, A. J. J. M., & Rottenberg, J. (2011). When and for whom does crying improve mood? A daily diary study of 1004 crying episodes. Journal of Research in Personality, 45(4), 385–392. https://doi.org/10.1016/j.jrp.2011.04.007
Vingerhoets, A. J. J. M., & Scheirs, J. G. M. (2000). The influence of crying on mood: A review of the literature. Psychological Bulletin, 126(4), 450–465.
https://doi.org/10.1037/0033-2909.126.4.450